Le théâtre, cette illustre composante du sixième art qu’est l’art de la scène, transcende sa « mission » de divertissement : c’est une puissante forme de littérature vivante. Son essence ? Raconter des histoires captivantes à travers des mots et des émotions incarnés par des comédiens. Mais au-delà de l’aspect artistique, le théâtre s’inscrit profondément dans le tissu social…
Historiquement, le théâtre a joué un rôle central dans le rassemblement des gens autour de valeurs et de références culturelles communes, et bien que cet aspect soit peut-être moins évident aujourd’hui, il n’en reste pas moins un puissant outil de socialisation, tissant des liens entre les spectateurs partageant une même expérience collective. Certaines pièces, par exemple, peuvent éveiller un sentiment d’appartenance à une communauté ou à un groupe. Mais encore ? Zoom sur l’importance du théâtre pour la société !
Le théâtre, miroir de la société ?
A l’occasion de leur vingtième anniversaire, les Cahiers de théâtre Jeu et le Centre des auteurs dramatiques ont renoué avec les discussions publiques de la série « Entrée libre », un forum qui a réuni des figures emblématiques telles qu’Alain Fournier, Carole Fréchette, Emile Lansman et Marie-Agnès Sevestre pour débattre d’un sujet brûlant : la place du théâtre dans la société contemporaine.
Historiquement, le théâtre a souvent été un lieu de résistance, un espace où même les pièces les plus anodines pouvaient devenir des actes de subversion sous des régimes oppressifs, comme en Roumanie sous Ceausescu. Mais dans nos sociétés modernes, quelle est vraiment la fonction du théâtre ? Emile Lansman pointe un paradoxe frappant : alors que le théâtre pourrait jouer un rôle vital dans la critique sociale, les salles tendent à se vider dès lors que la liberté d’expression est totale.
Le débat s’étend au-delà de l’aspect purement artistique pour questionner la valeur intrinsèque du théâtre dans la formation de l’identité culturelle et sociale. En Belgique, la révolution de 1830 a commencé dans un théâtre, ce qui montre bien l’influence potentiellement puissante de cet art sur les mouvements sociaux. Aujourd’hui, les pouvoirs publics cherchent à quantifier l’impact du théâtre par des critères objectifs, comme le nombre de sièges occupés. Mais une question reste en suspens… Si le théâtre disparaissait, assisterions-nous à une révolution, ou serait-il simplement regretté comme une belle relique du passé ?
Lansman soulève également un problème culturel en Belgique francophone, où il semble qu’être un créateur local est souvent perçu comme un handicap, à moins d’être exceptionnellement talentueux. Le théâtre belge, paradoxal, a longtemps été dominé par des œuvres étrangères, tandis que les dramaturges locaux restent souvent confinés à l’amateurisme ou au patois, rarement reconnus ou valorisés par les institutions professionnelles.
Le théâtre francophone d’aujourd’hui, entre réflexion et dérision
Le paysage théâtral francophone actuel est marqué par l’émergence d’une génération d’auteurs polyvalents, à la fois comédiens et metteurs en scène, qui renouvellent la scène en Belgique et au-delà. Des figures comme Pascale Tison, Dominique Wittorski et Daniel Simon en sont des exemples éloquents, des artistes contribuant à un théâtre qui, en France et en Belgique, se fait souvent l’écho d’une société individualiste post-années soixante, oscillant entre introspection excessive et une critique sociale poignante.
Par ailleurs, ce théâtre moderne tend à se diviser en deux grandes tendances… D’une part, des spectacles que l’on pourrait qualifier de nombrilistes, souvent survalorisés par les subventions publiques, et de l’autre, une veine plus historique qui cherche à valoriser des fragments de sociétés à travers le prisme de l’expérience individuelle. Influencé par les courants africains et québécois, ce théâtre met en scène des personnages emblématiques confrontés à leur environnement immédiat, souvent incapables de transcender leur condition mais réagissant à celle-ci avec une naïveté feinte ou, comme c’est le cas dans certains spectacles africains, avec un humour mordant.
Ces pièces offrent une perspective rafraîchissante, choisissant de rire de situations qui, dans d’autres contextes, pourraient pousser au désespoir. C’est là toute la force du théâtre francophone contemporain : mettre en lumière ces « paumés pathétiques », véritables miroirs d’une large part de la population mondiale. Ces personnages, souvent laissés pour compte, trouvent dans le théâtre un espace pour exprimer leur désarroi et leur humanité, reflétant les tensions et les dilemmes de notre époque.
Le théâtre et son écho social
Carole Fréchette pose une question essentielle : un théâtre qui se fait l’écho de la société a-t-il plus de chances de toucher son public ? Quel est le véritable sens du théâtre ? Le renforcement de la dimension sociale dans les œuvres théâtrales peut-il élargir leur audience ?
Mireille Davidovici, intervenant lors du débat, souligne que la France est le théâtre d’un dialogue continu sur le rôle de cet art dans la société. Elle évoque notamment des mises en scène basées sur les travaux de sociologues comme Pierre Bourdieu, qui ont exploré les réalités des différentes strates sociales. L’une de ces pièces, « La Misère du monde », a particulièrement marqué les esprits, y compris celui des sociologues, par sa capacité à capturer et à restituer les témoignages des plus démunis.
Marie-Agnès Sevestre ajoute que cette démarche a provoqué un débat critique en France autour de la capacité de l’écriture dramatique contemporaine à transcrire la réalité. Face aux critiques estimant que les pièces ne reflètent pas assez fidèlement le « réel », les auteurs défendent l’idée que les metteurs en scène doivent réfléchir à leur manière de traduire la réalité en art, sans s’attendre à ce que le texte soit une simple reproduction du réel.
En France, la politique culturelle adopte désormais le mot d’ordre de « soigner la fracture sociale », une expression popularisée par Jacques Chirac et reprise par le ministre de la Culture de l’époque, Philippe Douste-Blazy. Ce dernier a même initié des projets de diffusion de la musique et de lectures théâtrales dans les hôpitaux, illustrant une nouvelle demande sociétale pour le théâtre hors de ses murs traditionnels. Ce constat peut paraître comme un aveu d’échec : le théâtre, tel qu’il est actuellement pratiqué, peine à atteindre ceux qui en ont le plus besoin. Il est donc poussé à sortir de ses cadres habituels pour devenir un outil de cohésion sociale, d’éducation et de prévention, que ce soit à domicile, dans les maisons de quartier ou même les hôpitaux.